P. Dr. Abel N’Djomon, P. Patrice Ndayisenga SJ, P. Dr. Aristide Bassé et
P. Dr. Prof. Faustin Nyombaire
Le 22 Octobre 2020 fut la seconde journée de la conférence sur le thème « Jeunes comme acteurs et promoteurs de la sauvegarde de notre maison commune : Le défi du développement intégral dans la Région des Grands Lacs ». Organisée sous l’égide du Jesuit Urumuri Centre, cette conférence s’inscrivait dans le cadre des activités de célébration du 5eme anniversaire de la Lettre Encyclique Laudato Si’ sur la Sauvegarde de la Maison Commune, publié le 24 Mai 2015. Elle s’inscrit également dans le cadre de la promotion de son message fort dans les milieux des jeunes, qui sont pour la région des Grands Lacs d’Afrique, l’appui pour amorcer le changement aujourd’hui et l’espoir pour un monde meilleur. Conformément au programme, la journée était articulée en trois sessions, la troisième étant la session de clôture.
Au cours de la première session, la parole a été donnée à deux intervenantes qui ont fait part de leur contribution en questionnant et en justifiant le rôle des conventions environnementales internationales à l’heure du changement climatique et ses conséquences sur les relations entre les pays du Nord (riches) et les pays du Sud (pauvres). Pour commencer, Mme Aloysie Manishimwe a abordé le sujet sous l’angle de la dette écologique et l’éthique des relations internationales. Après avoir expliqué la dette écologique dans ses dimensions spatiale[1], temporelle[2] et écologique[3], la conférencière a déploré l’incapacité des lois environnementales à l’égard de l’ampleur de la dégradation de l’environnement et des relations humanité/nature, pays pauvres/pays riches et générations passées/générations futures. Reflet de l’injustice environnementale et sociale, la dette écologique requiert un triple remède : éthique environnementale, justice sociale et justice intergénérationnelle. Et, s’appuyant sur le Pape, elle a appelé les jeunes à reconnaitre leur dette écologique tant la plupart d’entre eux ont des habitudes de consommation exagérée et une vie de luxe (Laudato Si’, 209). D’où la nécessité d’une éducation aux valeurs de dialogue, d’honnêteté, de solidarité universelle, et de responsabilité sans lesquelles les solutions à la crise (dette) écologique continueront d’échouer à cause du manque d’intérêt des uns et de l’indifférence, la confiance aveugle dans les solutions techniques et la résignation facile des autres. Ce genre d’attitudes est sans doute un obstacle à la viabilité de la politique environnementale face au changement climatique qui, aux yeux de Mme Juliet Kabera, Directrice Générale à Rwanda Environment Management Authority (REMA), est la grande bataille que la génération contemporaine doit livrer.
P. Benjamin Nsengiyumva SJ, Mme Juliet Kabera at Mme Aloysie Manishimwe
Dans son intervention, Mme Juliet a introduit son audience au concept de changement climatique, sa cause principale et ses conséquences. Parmi ses conséquences, on pouvait retenir : l’élévation du niveau de mer, la perturbation des écosystèmes, inondations, cyclones, sécheresses, et famines. Le réchauffement climatique est pour la conférencière une question de vie ou de mort devant laquelle les peuples et les institutions qui les servent ne peuvent rester indifférents. Ceci étant, elle a jugé bon de rappeler l’historique de la quête des solutions à cette question en commençant par la Première Conférence Mondiale sur le Climat à Genève en 1979 jusqu’à l’adoption de l’Accord de Paris en décembre 2015 lors de la COP21 en passant par le Protocole de Kyoto en 1997. De tous ces accords internationaux, ratifiés et adoptés localement, ressortent des politiques et des stratégies qui visent à réduire l’effet de serre soit par la gestion intégrée des ressources, ce qui atténuerait les risques climatologiques, soit par l’augmentation de la résistance et les capacités d’adaptation des populations (résilience). A titre d’exemple, l’intervenante a proposé le cas du Rwanda et les actions que celui-ci a déjà entreprises pour faire face au changement climatique. A côté des différentes lois environnementales promulguées, on peut également retenir la mise en place du Fonds National de l’Environnement du Rwanda (FONERWA), une initiative de mobilisation des financements locaux et internationaux pour financer les projets de lutte contre les changements climatiques. Sur ce, la DG a recommandé aux jeunes dans leurs organisations respectives de penser des projets promoteurs de l’environnement, les soumettre à FONERWA en vue du financement requis pour jouer leur rôle dans la promotion de l’environnement.
Cette louable recommandation a suscité beaucoup d’intérêt de la part des jeunes, ce qui a ouvert l’espace pour les échanges. Plusieurs questions ont été posées, mais la plupart d’entre elles ont tourné autour de FONERWA et la dette écologique. Concernant la dette écologique, il était question de savoir ce que les pays pauvres pourraient faire pour jouir de leurs droits d’être remboursés par les pays riches. Il est vrai que la dette est un fait, mais le débiteur n’est pas nécessairement compatissant envers la victime. Par conséquent, celle-ci doit apprendre à négocier, reconnaitre que cette dette est souvent cautionnée par son Gouvernement et ainsi travailler à la mise en place des systèmes de gestion bâtis sur l’honnêteté, la responsabilité et libre de tout esprit de corruption.
Renvoyés à leur propre responsabilité, les participants ont entamé la deuxième session avec comme tâche de réfléchir sur les défis de la justice sociale sous quatre angles : l’économie verte, l’option préférentielle pour les pauvres, la solidarité intergénérationnelle et l’espérance, tout à l’heure de la quatrième révolution industrielle. Cette dernière marquée par la révolution numérique et l’intelligence artificielle a en effet envahi tous les domaines de la vie sur la terre, fait remarquer Dr. Abel N’Djomon, S.J. Elle pose plutôt la question de savoir si elle est bénéfique à tout point de vue même celui de l’économie verte qui, par essence, cherche à allier l’amélioration du bien-être humain et l’équité sociale à la réduction des risques environnementaux et la pénurie des ressources. Comme toute révolution industrielle, elle présente plein d’opportunités aux êtres humains ; mais trop dépendante de l’énergie, son impact sur les ressources qu’elle épuise imprudemment crée des pauvres privés de la nourriture et de la couverture contre les dégâts environnementaux. Ceci pose la question du pauvre dans la société ; une question qui a été minutieusement développée par Dr. David Kaulem dans le contexte du cinquième anniversaire de Laudato Si’. Pour lui, la meilleure manière de célébrer cet anniversaire, c’est prendre soin du pauvre et éradiquer la culture du déchet. Car Laudato Si’ redynamise l’obligation morale envers les marginalisés ; elle nous offre une raison suffisante que prendre soin des pauvres n’est pas qu’une simple affaire morale, mais un impératif politique qui incombe tout le monde.
P. Dr. Symphorien Ntibagirirwa, OP et P. Dr. Prof. Faustin Nyombayire
Ce rapport au pauvre a été expliqué de façon plus concrète par Prof. Dr Faustin Nyombayire, Prêtre du diocèse Catholique de Byumba, en termes de solidarité non seulement entre individus mais aussi entre générations habitant la même maison, la terre. L’homme du postmoderne courant le risque de devenir individualiste, il faut lui rappeler le sens de la solidarité. Il s’agit de cette obligation d’aider qui existe entre les personnes d’un même groupe ; en tant que tel, elle nous incombe comme un devoir de justice envers les pauvres de l’avenir ainsi que ceux d’aujourd’hui. La vraie solidarité fonde un système dans lequel on reconnait le droit de chacun et lui donne ce qui lui revient et convient pour qu’il puisse s’épanouir ; le contraire est un manquement à la justice. Si la solidarité est une valeur, elle est ancrée dans la culture au sens philosophique et anthropologique du terme. Ce qui importe aujourd’hui, selon le conférencier, c’est la synodalité, c’est-à-dire faire route ensemble. Pour cela, il a proposé quelques pistes dont : ouvrir les yeux et prendre conscience, développer le sens de la gratitude et de la gratuité contre l’esprit utilitariste et assumer le rôle de chacun dans l’élan de solidarité envers l’humanité. Même si cette humanité s’est retrouvée dans un univers chaotique, pouvant pousser au désespoir, Laudato Si’ veut donner de l’espoir aux hommes et à leur maison commune. Selon Dr. Aristide Bassé, O.P., cet espoir est fondé sur la foi chrétienne, laquelle foi n’est vivante que lorsqu’elle est active. D’où, à l’instar des prophètes, le Pape appelle à agir (à espérer) après avoir interprété la situation. Pour agir, explique l’intervenant, il faut savoir pourquoi agir, que faire et comment le faire. Il faut agir (espérer), parce que le salut de l’humanité et de la planète est encore possible ; rien n’est impossible à Dieu. Ce qu’il faut faire, c’est simplement s’ouvrir au salut, c’est-à-dire entreprendre la conversion écologique. Comment : en prenant conscience du défi à mener, en connaissant ses enjeux, en changeant de paradigme et de style de vie et en posant des actes concrets, transformatifs.
Mgr Bernard Munono
L’appel à l’espoir comme action a laissé la place à la session de clôture qui a été essentiellement marquée par la synthèse et la présentation des recommandations par Mgr Bernard Munono, du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral. Cette session a présenté une vue d’ensemble de la conférence, un événement tenu dans une région particulière de l’Afrique de par ses plantes, montagnes, lacs, faune, flore, hommes et femmes, l’histoire et surtout par sa jeunesse habitée non seulement par des questions et des peurs mais aussi dotée de talents et d’énergie. Face à tout cela, « Jeunes, n’ayez pas peur, ouvrez les portes au Christ… ne vous laissez pas voler votre espérance dans un monde meilleur » (Jean-Paul II). Aussi, il a présenté la position des jeunes dans la lutte pour la sauvegarde de notre maison commune. D’abord, il faut leur reconnaitre ce droit de participer dans la protection de l’environnement. Puisqu’ils ont des talents, il est opportun de leur offrir les opportunités qui les retiennent dans leurs pays afin qu’ils participent au développement de leurs communautés. Ici, l’importance des institutions scolaires a été soulignée parce qu’elles s’avèrent des structures propres à aider les jeunes à habiter la terre sans la détruire. Il a été particulièrement demandé aux jeunes d’être ensemble s’ils veulent être forts, d’écouter les us et coutumes de leurs Région tout en sachant que toutes les cultures ont les pesanteurs dont elles doivent se libérer, d’abattre les murs de la division et construire les ponts de solidarité car les conflits et les guerres ont un impact négatif sur l’environnement et enfin de vivre le défi de la fraternité, une fraternité qui va au-delà des barrières religieuses, ethniques et régionales. Sur ce, le Père Ganza Jean Baptiste, S.J. Supérieur des Jésuites dans la Région du Rwanda Burundi a pris la parole urgeant les jeunes d’être des lumières à la manière du Centre Jésuite Urumuri qu’ils allaient quitter mais aussi comme les différents intervenants qui ont éclairé leur conscience de par les connaissances, les convictions et les expériences partagées.
Mgr Andrzej Jozwowicz, nonce apostolic au Rwanda
Ayant remercié tout un chacun qui a porté sa pierre pour le bon déroulement de cette conférence, le Supérieur Régional a invité les participants à une messe d’action de grâce, presidee par le Nonce Apostolique, Mgr Andrzej Jozwowicz, pour la clôture solennelle de l’événement.
Rugaba J. Julien
Chargé des Programmes, JUC
[1] Les pays riches sont redevables aux pays pauvres pour avoir pillé ou sous-payé leurs ressources naturelles
[2] Responsables d’une mauvaise gestion des ressources naturelles, les générations passées ont une dette envers les générations présentes et futures
[3] L’idée d’une dette que les hommes ont accumulée à l’égard de la nature qu’ils ont trop exploitée